dimanche 13 novembre 2011

Portraits

Je ne recommande pas les séjours dans les hôpitaux mauriciens, mais il faut reconnaître que d'un point de vue sociologique, le dernier a été plutôt intéressant. On se retrouve avec de nombreuses personnes, qui n'ont rien d'autre à faire de leurs journées que discuter avec leurs voisines ; du coup, la salle prend un peu des airs de dortoir de colonie de vacances. Tout le monde finit par se connaître, par savoir pour quelle raison ce bébé ou celui-la a été admis, depuis quand il est là. Il y a un peu de tout : de toutes jeunes femmes, des plus âgées (parfois la grand-mère de l'enfant), des mères douces, d'autres plus rudes, des personnes réservées, d'autres qu'on entend tout le temps. Parmi tout ce petit monde, il y a des gens qui m'ont marquée.

Il y avait...

Une jeune femme avec son gros bébé d'une année. Elle lui donnait plusieurs biberons par jour, du thé, et surtout des tas de biscuits. Le petit n'arrêtait pas de manger. Quand sa maman le changeait, elle le rinçait sous l'eau et remettait une couche propre sans même l'essuyer. Elle ne le séchait pas non plus après lui avoir donné son bain. Peut-être qu'elle n'avait pas de serviette. Tous deux étaient là depuis 15 jours, et la maman commençait à être sérieusement exaspérée par ce séjour forcé. Un soir, le deuxième que j'ai passé là-bas, son mari est venu la chercher et elle est partie pendant plusieurs heures, sans que les infirmières ne s'en rendent compte (on n'en a en principe pas le droit), laissant son bébé seul dans son berceau... avec quelques biscuits.


Il y avait...

Une très gentille jeune femme arrivée quelques heures après moi. Elle était entièrement voilée, et portait un joli vêtement noir brodé de fils dorés ; c'est que c'était un jour de fête, Eid-ul-Adha. Elle a vite découvert ses cheveux comme nous n'étions qu'entre femmes. Toute douce, toute timide, elle m'a tout de suite paru gentille. Son petit avait 13 mois, et avait été admis pour une grosse fièvre, juste comme mon Bibou. Nous avons bien discuté. C'était son premier enfant à elle aussi, et elle avait juste deux ans de plus que moi. Son bébé avait apparemment un appétit d'oiseau, et pour le faire manger, elle lui disait : "Guette lézard là-haut, guette lézard", avant de lui mettre une cuillère de purée dans la bouche. C'est une des seules mamans que j'ai vue être très tendre avec son enfant, à le câliner, lui parler doucement.
J'aurais eu envie de garder contact avec elle, après. Mais je sentais que cela ne se ferait pas. Une petite amitié, une rencontre de passage, sans suite.

Il y avait...

Une petite fille aux traits asiatiques, qui devait avoir moins d'une dizaine d'années. Elle passait vers tous les berceaux et venait s'occuper des bébés, surtout de celui qui était juste à côté de moi, le gros bébé dont la maman s'était "enfuie". Cette petite fille était sourde. Toute souriante, énergique, elle savait très bien se faire comprendre, et lire sur les lèvres nos réponses. Je ne sais pas pourquoi elle était hospitalisée.
A un moment, elle s'est mise à jouer avec une petite peluche que mon chéri avait emmené pour notre Bibou, et qui fait de la musique. Elle la tenait d'une main par la petite ficelle qui sert à l'accrocher au berceau, et de l'autre attrapait l'anneau sur lequel on tire pour lui faire jouer sa petite mélodie. Elle la retournait dans un sens et dans l'autre, et semblait ne pas comprendre pourquoi il y avait deux ficelles. Je lui ai fait signe de tirer sur l'anneau, puis comme elle ne comprenait pas, je l'ai tiré moi-même. Elle, elle a continué à regarder la peluche d'un air perplexe. Ce n'est que là que je me suis rendu compte qu'elle ne pouvait évidemment pas entendre la petite musique.



Il y avait...

Un petit bébé de trois mois, tout seul dans son berceau. Il se chuchotait que sa mère était adolescente et droguée, son père plus jeune encore, et que le petit avait été abandonné. C'était un petit garçon ; il était vraiment minuscule. Il pleurait souvent sans que personne ne le prenne, ne le réconforte, ne lui donne à boire. De temps en temps, les infirmières lui donnaient un biberon ou changeaient sa couche. Si l'infirmière en chef de service n'était pas du genre trop stricte ("Ne le touchez pas, il pourrait attraper une infection !"), c'étaient les mamans des autres petits patients qui s'occupaient de lui, le prenaient dans les bras, le changeaient, et lui donnaient même son bain. Ça me faisait mal au cœur de voir ce tout petit comme ça, si seul, sans parents pour l'aimer, le câliner... J'en avais presque envie de l'adopter.

Il y avait... D'autres bébés et d'autres mamans encore, dont je parlerai peut-être un autre jour. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a dans mon cœur et ma mémoire beaucoup de souvenirs de ces deux jours dans la salle 16 de cet hôpital, qui y resteront sans doute longtemps.

6 commentaires:

  1. Oh ma Cara, c'est incroyable ce que tu racontes là ! C'est une vraie cour des miracles, cet hôpital de Port Louis. Et je vois que l'ethnologue en toi n'a pas disparu.
    Mais toutes ces histoires me fendent le cœur...

    Le Bibou a de la chance d'avoir une maman douce et aimante !!!

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  2. Je trouve ton histoire très émouvante et intéressante. Tout celà me fait prendre conscience du melting-pot et de la vie dans les hôptaux mauriciens... J'ai presque versé une larme en lisant qu'un petit garçon de trois mois avait été abandonné... Bref, une vrai leçon de vie et d'espoir.

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  3. Laberniquedestropiques14 novembre 2011 à 19:26

    S'il y a une chose que j'aime aussi beaucoup ici c'est observer, découvrir, m'étonner, et essayer de ne pas juger ces gens tous différents et parfois si éloignés de la façon dont je vis. Mon fils est à la crèche (près de Champs de Mars) et quand je le vois parmi tous ces enfants je me rend bien compte qu'il est à son tour différent dans ce bain mauricien. Mais je ne doute pas qu'il se fondra bien vite dans le décor, déjà il est plus à l'aise. Merci pour ce récit, un peu douloureux mais à l'hôpital c'est rarement très joyeux !

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  4. Très intéressant ta description de l'hôpital et ceci contrebalance la vision idyllique que j'ai pu avoir de Maurice lors de notre séjour. Il fait donc bon y vivre mais en évitant d'être malade. Quoique, même dans nos hôpitaux, on peut y contracter de méchants microbes dorés...

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  5. Bonjour. tombe sur votre blog par hasard j'ai completement adore cet article il faut moi aussi etant expatrier a l'ile maurice j'adore observer certaines situations le plus souvent dans le bus :) mais dans votre description l'hopital a l'air d'un vrai champ de personne a contempler examiner je le redis bel article :)

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  6. Merci, ce commentaire me fait très plaisir. Je déteste cet hôpital ; observer les gens, c'est le seul côté que j'apprécie. Écouter les histoires des autres. Se raconter un peu soi-même...

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