mercredi 6 juin 2012

Quand une chanson interdite révèle les frontières entre les communautés

La semaine dernière, une chanteuse britannique d'origine indienne, Susheela Raman, s'est vu interdire l'interprétation d'une de ses chansons lors du concert qu'elle est venue donner à Maurice. Le morceau, un chant sacré de la religion tamoule, a apparemment été considéré comme « trop éloigné de la version originale »* par certains membres d'associations religieuses. Ce genre de chansons devrait, selon eux, être cantonné aux kovils, les temples. « Si elles sont jouées en concert, demain elles le seront en discothèque », a ainsi affirmé le président de la Mauritius Tamil Temples Federation à l'express dimanche.


La chanteuse a effectué une minute de silence au moment où aurait dû être jouée la chanson interdite.

J'ai de la peine à comprendre l'argument, surtout quand on sait que la chanteuse affirme se sentir « profondément et sérieusement connectée avec [ses] racines tamoules »** en jouant ce morceau. L'interprétation est sincère ; pas la plus petite tentative de dérision, rien. Quand on sait comment certains artistes malmènent la religion chrétienne, entre autres - j'ai en tête notamment le Piss Christ de l'artiste américain Andres Serrano - on se rend compte que l'« outrage » commis par Susheela Raman est, à côté, bien faible.

Cet événement malheureux a permis à un chroniqueur de l'express dimanche, Gilbert Ahnee, de proposer une réflexion plus large sur la société mauricienne. Celle qui, d'un côté, voit ses différentes communautés vivre ensemble sans aucun problème, mais qui, de l'autre, les voit s'affronter entre elles et se déchirer - quand elles sont réduite à l'aspect de la religion.

« Il y a deux sociétés mauriciennes, la société authentique, celle de tous les jours, celle des enfants qui se rencontrent à l'école, des collègues au travail, des multiples échanges commerciaux, de l'entraide et de l'amitié d'une communauté à l'autre. [...] L'image est un cliché mais elle a le mérite de dénoter un désir d'amitié et de partage : oui, nous échangeons effectivement des gâteaux de Divali, des quartiers de viande de Bakrid, des dragées de baptême et des brioches de première communion. Cette société-là, solidaire, généreuse, respectueuse de ses multiples différences, cette société-là, elle est effectivement un modèle pour le monde. Mais il y a aussi l'autre société [...], cette dernière, totalement dénaturée, n'étant plus que la mise en rapport d'identités religieuses se tenant mutuellement en respect. »***

L'Ile Maurice, c'est un mélange de cultures. Parfois, ces communautés, c'est le jaune, le bleu, le rouge, qui se mêlent et s'entremêlent pour former un tableau harmonieux, et faire apparaître le vert, l'orange, le violet. D'autres fois, c'est l'huile et l'eau : on a beau secouer, le mélange ne sera jamais homogène.


*D'après une interview que Susheela Raman a accordée à l'express dimanche, 2. 6. 2012
** Selon la même interview.
*** Gilbert Ahnee, « L'île des chatages réciproques », l'express dimanche, 2. 6. 2012.

5 commentaires:

  1. Entièrement d'accord ! Toutefois, le type qui a posé un ultimatum à Immedia est pas net... (lu dans je ne sais plus quel article)
    Justement je dois participer à une expo photos sur les musulmans, et un type s'est ramené en disant qu'il fallait absolument que l'on montre la femme en djilbaab, car le reste n'était pas "islamique"... Le sujet fait polémique, du coup je sais pas vraiment si je vais y participer, il me goooonfle !!

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  2. Ouep, il semblerait que le directeur d'Immedia ait voulu se faire bien voir des associations "culturelles" qui sont venues le voir - et a rajouté qu'il pourrait y avoir des violences...

    Aha, comme si toutes les musulmanes le portaient ! Ce n'est de loin pas le cas... Il faut accepter la diversité, ça ne sert à rien de la nier. Envoie ton histoire à l'express, ça va les intéresser.

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  3. Trouvé sur fb : Breaking news : Susheela Raman a souhaite une bonne Fete de la Musique au ministre Choonee en lui envoyant un cd vierge...

    :)

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  4. Très beau billet. Il n'y a pas à vouloir à tout prix "rendre le mélange homogène" du moment que les communautés se côtoient suffisamment pour se connaître, se respecter et s’apprécier mutuellement. Cela suffit. L'ennui, c’est que où que l'on soit dans le monde, il y aura toujours des fanatiques (généralement plus bruyant que la majorité silencieuse) pour semer la discorde. La cohabitation paisible et harmonieuse n’est jamais définitivement acquise, et il suffit de quelques erreurs pour que tout soit perdu. La Bosnie a connu des décennies de paix et de prospérité culturelle entre ses diverses communautés, avant que le massacre des années 90 ne commence.

    C'est pourquoi nous devons toujours nous méfier des discours de ces "leaders" dont le fonds de commerce est "diviser pour régner", ce sont eux qui apportent les malheurs, pour tous.

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  5. C'est vrai qu'il n'est pas nécessaire que les différentes communautés se fondent les unes dans les autres, mais ce mélange est parfois heureux : le métissage doit être possible ! Et est-il vraiment nécessaire de se définir avant tout par son appartenance religieuse / ethnique... ? Je n'en suis pas sûre...

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