Ma grand-mère est morte le week-end dernier. Elle avait 92 ans. Après plusieurs mois à l'hôpital, on s'y attendait... Il n'empêche, elle laisse un vide dans nos vies.
Ma grand-maman était la personne la plus gentille que je connaisse. Toujours souriante, toujours de bonne humeur, je crois que je ne l'ai jamais vue se fâcher.
Quand j'étais petite, on allait très souvent la voir, environ une fois par mois, à une heure et demie de route de chez nous. On passait généralement le week-end chez elle, et je dormais avec ma sœur dans l'ancienne chambre de mes tantes.
Il y avait une armoire au contenu merveilleux, d'anciennes robes qui nous servaient de déguisement, de vieux jouets qu'on adorait, comme les petits ours dans leur maison. Ma grand-maman avait aussi toujours de quoi dessiner, et elle gardait tous les dessins qu'on lui faisait, bien rangés dans un classeur.
Elle avait un piano pas tout à fait accordé, sur les touches duquel on aimait bien taper, jusqu'à ce qu'on nous demande d'arrêter parce qu'on faisait trop de bruit. Sur un petit guéridon, elle avait plusieurs animaux en verre de murano qui m'impressionnaient beaucoup. Je les trouvais magnifiques. Bien sûr, on n'avait pas le droit d'y toucher.
A Noël, toute la famille se réunissait chez elle. On mangeait des toasts au saumon comme entrée, puis du rôti comme plat principal, avec des frites, me semble-t-il. Pour recevoir nos cadeaux, on devait d'abord réciter une poésie, ou chanter une chanson devant le sapin décoré et illuminé de vraies bougies. Avec mes sœurs et mes cousines, on avait bien sûr déjà lu toutes les étiquettes des paquets alignés sous l'arbre, afin de repérer nos présents. A Pâques, le lapin déposait des dizaines d’œufs en chocolat dans le jardin de l'immeuble. Il en réapparaissait même comme par magie aux endroits où on était déjà passés - probablement que les adultes et mes grands cousins, qui nous regardaient du balcon, y étaient pour quelque chose. Quand on rentrait, on se livrait encore à une chasse au trésor pour trouver nos lapins au chocolat cachés dans l'appartement, un paquet pour chacun.
J'allais parfois passer quelques jours chez elle. Elle m'emmenait au jardin botanique de la ville, j'aimais bien les plantes carnivores dans la serre. Un jour, alors que j'étais en vacances chez elle pour quelques jours avec ma sœur, elle était en train de nous faire des frites quand la hotte de la cuisine a pris feu. Il y a eu plus de peur que de mal, mais j'ai été très impressionnée par la venue des pompiers, dans leur uniforme noir.
Ma grand-maman n'oubliait jamais les anniversaires de ses petits-enfants, et plus tard de ses arrières-petits-enfants - on recevait toujours une petite enveloppe avec des sous.
Elle n'a jamais eu à se teindre les cheveux, ils sont toujours restés bruns, jusqu'à aujourd'hui - seuls quelques-uns avaient viré au gris. Elle était encore très en forme - elle conduisait encore sa voiture il y a quelques années, habitait dans son propre appartement, et gardait même les enfants de ma cousine quelques matinées par semaine. Elle arrivait encore à s'agenouiller pour jouer aux cubes ou aux petites voitures. Elle adorait faire des mots-croisés et jouer au scrabble, jeu auquel elle était pratiquement imbattable.
La dernière fois que je l'ai vue, c'était il y a quelques semaines. Elle avait l'air toute petite, toute frêle dans son lit d'hôpital. Elle dormait quand on est arrivées, ma sœur et moi, seule sa tête dépassait des couvertures. Quand elle nous a vues, elle s'est mise à sourire, c'est exclamé que c'était formidable qu'on vienne la voir. On a discuté, on lui a parlé de nos enfants, on voyait qu'elle était parfois un peu perdue et qu'elle ne se souvenait plus bien qui était qui. Elle nous a dit qu'elle espérait qu'on puisse bientôt se voir dans un endroit plus agréable, peut-être pour un pique-nique (on en faisait un chaque année). Elle croyait qu'on allait vers le printemps, alors que de l'autre côté de la grande fenêtre, c'est l'automne qui s'installait.
Bien sûr, je suis triste qu'elle soit partie. Mais je suis aussi heureuse qu'elle ait eu une si longue vie, qu'elle ait été si bien entourée, jusqu'au tout dernier jour. Et puis, elle commençait à perdre la mémoire, la notion du temps, elle ne se souvenait plus d'un jour à l'autre qui était venu lui rendre visite, mais elle reconnaissait encore ses enfants, ses petits-enfants - et je pense qu'il vaut mieux de partir à ce moment-là plutôt que de vivre longtemps sans plus trop savoir qui l'on est ni qui sont les gens qui nous entourent.
Ma chère grand-maman, grand-maman chérie, tu seras pour toujours dans nos cœurs.